La vie maudite d’Hégésippe Moreau
Sur les bords de la Voulzie

Après la rupture du congrès de Châtillon, qui mit Napoléon dans la nécessité de poursuivre contre apparence de succès la campagne de France, le tsar Alexandre prit place à la tête des troupes coalisées réunies le long de la haute Seine. Parti de Troyes avec le roi de Prusse et le généralissime, prince de Schwartzenberg, il avait entrepris de descendre le fleuve jusqu’à Paris où, croyait-il, la paix serait dictée par lui sans coup férir. La vaillante, mais trop peu nombreuse armée française, occupée à vaincre Blücher sur la Marne, semblait d’abord lui avoir laissé le passage à peu près libre, mais à partir du 1814-02-1616 février 1814, les têtes de colonnes d’invasion traversant la Brie furent brusquement attaquées et bousculées à Guignes, à Mormant, à Donnemarie, à Nangis.

En deux jours d’engagements fortuits, deux divisions autrichiennes avec un corps de Russes et de Bavarois se trouvèrent anéantis. A ce spectacle, Schwartzenberg reconnut la présence de l’Empereur, qui, en effet, ayant mis Blücher et ses Prussiens en déroute, accourait à l’improviste et venait de franchir, avec son armée, trente lieues en trente-six heures.

Il était grand temps pour les Français de sur-13girsurgir ainsi. Les faibles corps d’Oudinot de de Victor, chargés de barrer le cours de la Seine devant Schwartzenberg, avaient été refoulés coup sur coup à Nogent, à Bray, à Montereau, et les Alliés maîtres des deux rives prétendaient poursuivre sans encombre leur avance sur Paris. Le recul des deux maréchaux était si prononcé que leurs gros équipages atteignaient déjà Charenton, jetant l’alarme jusque dans la capitale.

L’arrivée de Napoléon retourna sur-le-champ la situation. Pris de panique en se voyant surpris par ce terrible adversaire, Schwartzenberg ordonna précipitamment la retraite, en prévint les souverains qui accompagnaient sa marche, dépêcha au quartier impérial un parlementaire pour solliciter une suspension d’armes, et voulut rétrograder dans l’intention de gagner Troyes au plus vite.

Alexandre de Russie allait voir s’effondrer son projet de paix victorieuse et rapide. Il apprit ces nouvelles désastreuse le 1814-02-1717, comme il suivait le gros de l’armée sur la rive gauche de la Seine. Un aide de camp du généralissime les lui annonça près du village de Bray, sur la grand’route, non loin du confluent du fleuve et de la petite rivière qui a nom la Voulzie. Le tsar, consterné et plein d’inquiétude, revint aussitôt sur ses pas et prit logement à Bray pour y attendre la suite des événements.

La demande d’armistice fut repoussée par l’empereur des Français, qui livra le lendemain cette célèbre bataille de Montereau où l’on vit Napoléon, posté sur les hauteurs de Surville, redevenir canonnier et pointer lui-même sur l’ennemi une pièce des batteries de sa garde. Le 1814-02-2020, poursuivant les Alliés vaincus, il remonta la Seine, passa la Voulzie et fit à son tour halte à Bray, pour y déjeuner dans la maison que le tsar avait quittée la veille. L’armée de Schwartzenberg était en déroute complète, et si démoralisée que certains de ses éléments s’enfuirent jusqu’au Rhin.

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Cet admirable redressement d’une situation quasi désespérée, qui retarda de six semaines l’entrée des Alliés dans Paris et faillit sauver l’Empire, ne fut suivi d’aucun autre engagement décisif sur les confins de l’Ile-de-France. Dès ce moment, beaucoup de noms géographiques de la plaine briarde étaient tirés de l’obscurité par les combats qu’ils évoquaient, et il s’en fallut de peu que celui de la Voulzie ne fût du nombre. Mais l’invasion étrangère passa sur elle et reflua sans s’y arrêter, sauf sur un point, au village de Léchelle, où le canon tonna dans un combat secondaire du mois de 1814-03mars. La renommée qui attendait cette rivière au nom charmant ne devait rien emprunter aux fastes sanglants de la guerre.

Le cours d’eau de la Voulzie, long de dix lieues, trace un sillon dirigé du Nord au Sud, dans la partie orientale du département de Seine-et-Marne, et arrose la ville de Provins où il s’approche du Durteint, autre rivière qu’il côtoie d’abord et dont il reçoit les eaux plus en aval. Pendant la campagne de France, la cité envahie fut durement traitée par les Coalisés qui l’occupèrent à l’époque des événements de Montereau, et la population y montra un grand patriotisme. Le lendemain de la bataille, comme Napoléon, installé au château de Surville, prenait ses nouvelles dispositions, il vit arriver une députation de Provinois apportant à l’armée des ressources et des renseignements importants sur la fuite de l’ennemiBaron Fain, Manuscrit de 1814..

Les Autrichiens revinrent pourtant sur la Voulzie un mois plus tard, mais ce ne fut qu’une incursion d’avant-garde qui fit volte-face, sans combattre cette fois, à la simple annonce d’un second retour de l’Empereur.

Les péripéties de cette fin de la grande épopée, si féconde en surprises, tirent en haleine pen-15dantpendant trois mois les habitants de la modeste sous-préfecture qu’était alors Provins. Cette localité, fière de l’ancienneté de ses origines remontant au début du moyen âge, possédait un grand nombre de vieilles constructions, couvents et autres bâtisses datant de l’ancien régime, dans lesquelles les administrations départementale et municipale avaient installé leurs services. L’un des plus remarquables parmi ces monuments, qui attirait de loin les regards, était le collège, logé dans l’ancien palais des comtes de Champagne, sur un éperon de la côte dite de Paris, en haut d’une pente couverte d’arbres et dévalant vers la ville basse, traversée ici par le Durteint.

Le collège de Provins n’était qu’une simple institution communale, et tel était en effet son titre officiel. Ses sept divisions, comme on appelait souvent, à cette époque, les classes scolaires, possédaient chacune leur professeur attitré. La chaire de quatrième avait pour titulaire M. Moreau, vieux régent maladif et besogneux qu’une décision administrative avait fait venir, en 18101810, de Paris où il résidait antérieurement.

Claude-François Moreau était d’origine franc-comtoise. Né à Poligny en 17561756, il approchait de la soixantaine à l’époque de la campagne de France. Il comptait parmi ces universitaires improvisés au cours de l’administration impériale, qui plusieurs fois réorganisa l’enseignement public. En ces conjonctures, on avait admis un peu partout des candidats de diverses provenances, maîtres des établissements supprimés jadis par la Révolution, membres du clergé d’ancien régime restés sans emploi, isolés dépourvus d’antécédents pédagogiques mais à l’esprit cultivé, que des revers de fortune obligeaient à choisir un gagne-pain. Comme tant de ses collègues, Moreau semblait avoir derrière lui une carrière obscure et nécessiteuse de professeur libre, ayant exercé à Sellières, notamment, puis à Chalon-sur-Saône ; mais il garda toujours sur son passé une réserve qui eut raison de l’importune curiosité.

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Fort digne en ses allures, il avait des mœurs paisibles et montrait de la circonspection dans le choix de ses relations sociales. Pauvre, et sans autre ressource qu’un traitement infime et le produit de rares leçons particulières, il lui fallait assurer cependant, dans le décor conventionnel du train de vie commandé par sa fonction, la subsistance d’une femme et d’un enfant. En effet, son installation à Provins avait été suivie, au printemps suivant, de l’arrivée d’une jeune mère et d’un enfant nouveau-né, venant comme lui de Paris, qu’il avait accueillis et logés sous son toit. Dès lors le professeur Moreau, qui appelait l’enfant son fils, avait vécu avec la mère comme marié.

Ce n’était cependant qu’un faux ménage à l’histoire bien banale. Le vieux maître, au déclin de l’âge mûr, avait eu besoin d’une femme de charge pour la tenue de son triste logement de Paris et s’était remis de ce soin à une voisine, Marie Roulliot, de vingt ans plus jeune que lui. Selon le fréquent déroulement de ces sortes de situations, la servante, à la longue, était devenue maîtresse, et la naissance d’un petit garçon avait consolidé une liaison d’abord éphémère et fragile. L’enfant parisien, né le 1810-04-088 avril 1810, avait été inscrit au registre de l’état civil sous le nom de sa mère, et baptisé le lendemain à l’église Saint-François-Xavier des Missions. Il portait les prénoms de Pierre-Jacques, empruntés à son parrain d’occasion, le joaillier Gouelle, demeurant rue de Harlay, près de la place Dauphine.

Moreau vivait désormais à Provins avec sa compagne et son fils naturel, en un appartement situé dans une antique bâtisse de la ville basse, rue des Petits-Lions, au niveau des degrés inférieurs de la rampe dite de Saint-Pierre. Là s’élevait, au temps révolu de la gabelle, le grenier à sel du Roi, divisé plus tard en logements et occupé par plusieurs locataires. La demeure de la famille Moreau, prenant jour sur la façade postérieure du bâtiment, du côté des jardins et si-17tuéesituée au premier étage, était orientée au sud-ouest, vers la côte de Paris. De la fenêtre de sa chambre, le professeur pouvait apercevoir, à toute heure et sans se déranger, les frondaisons montant en pentes rapides jusqu’au collège nourricier.

Hélas ! le pauvre homme n’avait guère à se louer des munificences budgétaires. Le revenu qu’il arrivait à se procurer, en peinant sans relâche, lui permettait tout juste de subsister, avec les siens, dans une gêne matérielle presque impossible à dissimuler. Fort heureusement pour la maisonnée, Marie Roulliot était une de ces ménagères dévouées, ingénieuses, ardentes au travail, avares de leurs deniers, prodigues de leur temps et de leurs efforts, qui accomplissent des miracles d’économie domestique. Grâce à ce génie spécial de la mère de famille, Moreau conçut l’illusion de pouvoir, sans trop de traverses, élever son fils et diriger jusqu’à l’âge adulte vers une lucrative carrière… Il avait compté sans la maladie qui le guettait depuis longtemps.

Le malheureux était phtisique. Son mal, demeuré latent pendant des années, avait pourtant été soupçonné par un de ses collègues, nommé Cénégal, le seul Provinois qu’il eût admis familièrement dans son intérieur et qui fût au courant de sa détresse cachée. M. Cénégal avait en haute estime ce ménage ami qu’il croyait d’ailleurs, comme tout le monde en ville, uni en légitime mariage. Il admirait surtout la concorde qui régnait dans la famille, et la tendresse avec laquelle les parents traitaient leur unique enfant. Celui-ci, par parenthèse, avait reçu en grandissant le nom peu répandu d’Hégésippe, que son père, érudit sentimental, lui avait choisi en mémoire d’un saint des premiers temps chrétiens, dont la fête tombait le jour anniversaire de sa naissance.

Sincèrement désireux de venir en aide à ses amis, le dévoué Cénégal eut vite compris le danger que Moreau faisait courir à sa santé, par les18 privations de toutes sortes qu’il s’imposait volontairement, heureux de seconder ainsi les efforts de sa chère Marie. Le familier de la maison n’osait trop remontrer à son collègue qu’il exagérait l’abstinence alimentaire jusqu’à la rendre famélique. Effrayé de son amaigrissement progressif, il essaya de lui procurer des occasions de faire bonne chère et lui conseilla de suivre l’usage, commun à l’époque, d’accepter les invitations que faisaient régulièrement aux professeurs les parents d’élèves. Moreau suivit d’abord l’avis, puis cessa d’aller dîner en ville ; et comme Cénégal s’en étonnait :

Je préfère, lui dit-il, la faim à certaines invitations qui m’humilient !

L’obstiné continua donc à ruiner inconsciemment son corps, jusqu’au jour où une hémoptysie abondante le surprit et l’obligea à garder la chambre.

On était alors au mois de 1814-02février 1814, et l’armée française commandée par Napoléon accumulait les victoires, avant de cesser de combattre sur l’ordre des maréchaux fatigués, Provins vit apparaître les Cosaques, puis les Bavarois, conquérants timides et circonspects malgré leur nombre, et plus étonnés que glorieux de fouler enfin le sol de la grande nation. Moreau, presque toujours alité maintenant, fut tenu au courant des événements par Cénégal. Patriotes et libéraux, ils déploraient ensemble l’écroulement du colossal édifice politique élaboré par le génie de l’Empereur, et qu’une destinée contraire ne permettait pas d’organiser et de rendre durable. Le malade apprit de la sorte les péripéties de l’invasion, l’entrée des Alliés à Paris, l’abdication de Napoléon, son départ pour l’île d’Elbe, l’arrivée en France du comte d’Artois, qui passa par Provins et s’y arrêta, celle de Louis XVIII… Son état ne cessa de s’aggraver jusqu’au milieu du mois de 1814-05mai, où Cénégal adoucit ses derniers moments en lui annonçant, lors d’une ultime visite, l’imminente promulgation de la Charte. Il mou-19rutmourut enfin dans la soirée du 1814-05-1616, alors qu’il regardait le soleil descendre derrière la côte de Paris, et le printemps refleurir les arbres des pentes du collègeCénégal, Manuscrit inédit de la Biographie de M. Moreau père, professeur au collège de Provins..

Après une telle épreuve, Marie Roulliot eût été en grand danger de tomber dans la misère, si cette mère stoïque ne se fût résolue, à l’âge de quarante ans, aux plus durs sacrifices d’amour-propre pour se créer de nouvelles ressources et élever honorablement son fils. Quoiqu’elle passât toujours pour la veuve authentique de Claude-François Moreau, elle résolut de gagner sa vie en allant travailler, comme couturière, chez différents particuliers. Il lui arriva de retrouver ainsi des membres de l’enseignement de sa connaissance, et l’une de ses premières employeuses fut la maîtresse d’une institution privée de la ville, Me Souclier. La triste compagne du défunt professeur vécut de cette manière, bien chichement, jusqu’à la fin de l’année 1815-121815.

Provins, centre agricole et maraîcher en pleine Brie, a toujours possédé des hôtelleries réputées et prospères. La meilleure d’entre elles, l’auberge de la Fontaine, était dirigée, à la fin de l’Empire, par les époux Guérard, dont le mari mourut en possession d’une honnête fortune. Me Guérard restait veuve avec deux fils dont l’aîné, Camille, était marié à Sophie Laval, une des petites-filles du maire, et dont le plus jeune, Émile, après avoir fait de brillantes études dans un lycée de Paris, était revenu vivre auprès de sa mère.

Émile Guérard, alors âgé de dix-huit ans, avait une santé précaire. Affligé en naissant d’un défaut de conformation du genou, il avait vu son mal empirer avec l’âge et, tout jeune encore, devait subir l’amputation de la jambe droite. Intelligent, sensible, d’une grande bonté et d’une piété sincère, il se sentait ému de compassion au spectacle de l’infortune, et s’il ressentait vivement l’amertume d’être infirme dès l’adolescence, du20 moins appréciait-il les avantages de sa position d’enfant gâté, objet de la sollicitude de tous les siens, comblé de biens matériels et vivant dans la large aisance d’une famille qui prenait rang dans la bourgeoisie.

Mme Guérard venait en effet de convoler en secondes noces avec un chirurgien en retraite de la Grande Armée, le docteur Favier. Elle céda l’hôtel de la Fontaine à son fils Camille et se retira, avec son mari, dans sa propriété de Champbenoist, à une demi-lieue de Provins. Son fils cadet rejoignit le nouveau ménage et partagea son existence ; il projetait des travaux d’érudition auxquels il se sentait naturellement porté, et que son ancien professeur, le philosophe Victor Cousin, l’engageait à entreprendre.

C’est dans cette optimiste disposition d’esprit que l’excellent Émile, un jour de 1815-12décembre 1815, se trouva par hasard en présence de Madame Moreau, lors d’une visite à l’institution Souclier. La vue de cette mercenaire au maintien décent, au teint pâle, au visage fatigué, au regard chargé de tristesse, qui tirait l’aiguille en silence, lui causa une émotion qu’il ne put dissimuler. Discrètement, la maîtresse de maison lui révéla le fatal destin de la malheureuse Marie, et le jeune homme au cœur pitoyable apprit avec peine l’existence de l’innocent Hégésippe, apparemment voué à un bien lamentable sort.

Le fils de Mme Favier prit alors une résolution. Son frère Camille avait justement besoin d’une personne de confiance pour le seconder à l’hôtel de la Fontaine. Émile alla le voir sans délai et le décida à prendre à son service Marie Roulliot, dont la réputation était excellente et qui du moins, pensait-il, trouverait à l’auberge le moyen de vivre dans des conditions incomparablement meilleures que dans sa profession d’ouvrière à la journée.

Marie, pénétrée de reconnaissance pour les deux frères, entra au service de Camille le 1816-01-011er janvier 1816. L’hôtelier accueillit le fils avec la mère,21 et le fit admettre comme élève externe à la classe enfantine de l’institution Souclier. Mais Mme Favier et Émile, qui venaient souvent à Provins, montrèrent aussi de l’intérêt pour Hégésippe, et la gentillesse du petit garçon de six ans aux yeux bleus, à la longue chevelure blonde et bouclée, aux gracieux et intelligent babil, les séduisit à tel point qu’ils résolurent de contribuer pour une part à son éducation. Hégésippe fut reçu par eux à Champbenoist, où il finit par aller passer tous ses jours de vacances.

D’ailleurs, l’arrivée chez les époux Favier du premier-né de Sophie Guérard, un garçon prénommé Camille comme son père, procura bientôt à Champbenoist un nouvel habitant. Mme Favier voulut élever chez elle ce petit-fils, qui devint en peu de temps l’idole vivante de toute la maisonnée. Hégésippe particulièrement lui voua une adoration enfantine et le regarda comme un frère, son petit frère de lait, disait-il en son naïf langage. Il aida le poupon à faire ses premiers pas, l’initia plus tard aux amusements de son âge, et le séjour de Champbenoist lui devint cher entre tous par la présence du jeune Camille.

La villa de Champbenoist, avec les bâtiments du domaine agricole qui en dépendait, se trouvait sur le chemin de Poigny, dans l’étroite vallée de la Voulzie. Hégésippe s’y rendait habituellement à pied, accompagné presque toujours de Mme Favier ou d’Émile revenant de Provins après quelque emplette, et chacun de ces déplacements était pour lui une promenade enchanteresse. Par beau temps, on cheminait sur la rive droite de la rivière en suivant un étroit sentier ; on admirait en passant l’onde bordée de verdure où pointaient des myosotis ; on gagnait les bosquets voisins, foisonnant de mûres succulentes ; on émiettait du pain, irrésistible tentation pour les moineaux effrontés qui s’approchaient jusqu’à portée de la main. C’est au cours de ces passages répétés que le fils de Marie Roulliot conçut pour le minuscule cours d’eau briard un juvénile sentiment, où se trouvaient traduits le souvenir de son père à peine entrevu, sa gratitude envers ses bienfaiteurs, sa vénération filiale pour la vaillante maman qui lui avait tout sacrifié, enfin la mélancolique intuition d’un avenir incertain, malgré les consolantes réalités de la vie présente. Dès ce moment, la Voulzie procurait au futur poète les prémices de ses plus délicates inspirations de l’âge adulte :

C’était mon Égérie, et l’oracle prospère
A toutes mes douleurs jetait ce mot : Espère !
Espère et chante, enfant dont le berceau trembla,
Plus de frayeur : Camille et ta mère sont là…

Ainsi devait naître, à l’évocation de ces lointains souvenirs d’enfance, la pastorale élégie qui rend à jamais illustres les noms d’Hégésippe Moreau et de la Voulzie.



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