Larousse, Dictionnaire du xixe siècle

NATIONAL (LE)

National (Le) journal politique, fondé le 3 janvier 1830, avec l’aide d’une société de capitalistes, par MM. Thiers, Mignet, Carrel et Sautelet. Le National fut créé exprès pour renverser Charles X, parjure à la charte, de même que le ministère Polignac, institué le 8 août 1829, avait été formé pour faire exécuté les fatales ordonnances. Aux menaces de la royauté répondait le défi de l’opinion libérale. Inspirée par M. Thiers, le rôle de Carrel restant encore effacé, la feuille nouvelle mit la Restauration en état de siège. Le mot d’ordre était celui-ci : « Enfermer les Bourbons dans la charte, fermer exactement les portes, et les forcer à sauter par la fenêtre. » On devait profiter de toutes les fautes du pouvoir, exiger la sincérité du régime constitutionel ; on devait viser la tête de la monarchie sans attaquer le corps. On ne se disait pas révolutionnaire et on déclarait close l’ère des révolutions, parce qu’on voulait changer les personnes sans les choses. On démasquait en partie ses batteries en faisant des allusions qui indiquaient un prétendant caché ; il paraît, néanmoins, que le National servait en toute liberté la cause du duc d’Orléans. La stratégie de cette attaque révéla après sa réussite, une telle perspicacité et une telle précision, qu’on appela cette campagne de M. Thiers « un autre siège de Toulon. » Comme le coup d’État était attendu, le National adressait, soit au ministère, soit à ses journaux, des défis, des sommations incessantes. À dater du mois de juillet, il agita dans tous les sens l’hypothèse imminente du coup d’État. M. Thiers dirigeait cette polimique audacieuse, aux passes brillantes qui tenaient le pouvoir dans une alarme perpétuelle. M. Mignet, à la dialectique élégante, faisait de la théorie et s’étudiait à montrer le parallélisme de la révolution anglaise avec la nôtre. Carrel, dont tout le mérite n’était pas apprécié à sa juste valeur par ses collègues et qui, par fierté, se maintenait alors au troisième plan, traitait les questions jugées moins importantes, avec une certaine rudesse d’argumentation. Les autres rédacteurs du journal étaient MM. Chambolle, Peysse, Rolle, Dubochet, Mérimée. Dans cette première phase, correspondant à la grande lutte des romantiques et des classiques, le National accorda peu de place à la critique littéraire et tint rigueur à la poésie. En trois articles successifs, Carrel malmena, avec sa vigueur habituelle, Hernani. M. Thiers, indifférent dans cette nouvelle querelle des anciens et des modernes, donna un compte rendu des Harmonies poétiques, appréciation toute favorable, sauf quelques réserves, et écrivit un article à propos des Mémoires de Napoléon, qu’il appela « le plus grand écrivain de son siècle. » Sur ces entrefaites, les ordonnances avaient paru (26 juillet) ; le rapport au roi, qui les précédait, contenait un acte d’accusation foudroyant contre la presse. Les journalistes de l’opposition se réunirent dans les bureaux du National. Carrel rédigea une protestation collective, et M. Thiers, qui sentait la nécessité de la transformer en acte, exigea des signatures, « des têtes au bas. » De l’aveu de Carrel, personne ne comptait sur une prise d’armes populaire, et chacun fut tout surpris de voir le dernier des Bourbons prendre le chemin de l’exil. Carrel resta seul maître du National, après les journées de Juillet ; d’abord, il en fit une feuille favorable au nouveau gouvernement, mais indépendante de toute attache, puis il attaqua la Chambre et le ministère Périer (1832). Il croyait à la nécessité d’une revanche sur les traités de 1815. Sa campagne la plus animée fut dirigée contre l’hérédité de la pairie. Son idéal était alors la république américaine, et il prononça le mot. Mais Carrel mourut en 1838, laissant les destinées du National aux mains de MM. Thomas, Trélat, Bastide, Duclerc, qui en firent l’organe de l’opinion républicaine. Devenu rédacteur en chef du journal en 1841, Armand Marrast lui donna une allure plus modérée et plus constitutionnelle, mais ne put lui maintenir l’autorité qu’il avait sous Carrel. Malgré sa vogue et sa popularité, le National eut une clientèle assez restreinte. Il était lu par curiosité. Marrast, écrivain élégant et caustique, plume vive, élégante et mordante, maniait en maître l’épigramme. Ses comptes rendus parlementaires, où il accablait les adversaires du parti sous les pointes du ridicule, sont demeurés célèbres. Indulgent pour le ministère Thiers, il appuya le projet des fortifications de Paris. Très-hostile à l’administration Guizot, il favorisa et précipita la chute de la dynastie d’Orléans, et Marrast fit partie du gouvernement provisoire (23 juillet 1848). Voué à la défense de la constitution républicaine et partisan de la candidature présidentielle du général Cavaignac, le National fut supprimé par la dictature qui sortit du coup d’État du 2 décembre 1851.