Hégésippe Moreau
1810 — 1838

La Presse
Journal républicain quotidien
55e année, N° 1246
jeudi 5 novembre 1891

Alexis Lauze

Bibliothèque Nationale de France,
par l’intermédiaire de Gallica

Hégésippe Moreau

Là-bas, au cimetière Montparnasse, au milieu des tombes soignées par la fidélité du souvenir, à côté des fleurs et des couronnes, dans un coin où poussaient il y a peu de temps encore au gré des saisons et des pluies, les herbes des champs ; là-bas repose, naguére oublié, Hégésippe Moreau, mort au mois de décembre de l’année 1838.

Après plus d’un demi-siècle d’oubli, quelques amis ont voulu protester et donner au chantre de la Voulzie, une tombe digne de lui.

Ils ont eu la satisfaction encourageante de voir M. Bourgeois, membre de l’instruction publique, accepter la présidence d’honneur du comité.

Il n’est que temps de rendre un hommage public au poète du Myosotis, qui vécut pauvre et fier et dont la vie fut faite de souffrances.

Hégésippe Moreau naquit à Paris en 1810, et fut orphelin dès l’enfance. Il fut recueilli par la généreuse famille où avait servi sa mère et placé au séminaire de Meaux, puis à celui d’Avon où il termina ses études classiques.

C’est alors que commença pour Moreau la lutte de l’existence, et elle fut pour lui d’une opiniâtre âpreté. Il fut d’abord correcteur, puis il vint à Paris pour tenter la fortune ; il pensait qu’il n’avait qu’à chanter pour vivre il ne savait pas que, comme on l’a dit, le chant du poète se perd dans le tumulte des villes. Et il chanta sans renom et sans salaire.

Il entra, pour gagner de quoi ne pas mourir de faim comme compositeur à l’imprimerie Firmin Didot.

Survient 1830. Hégésippe Moreau combat sur les barricades, et sauve un Suisse blessé auquel il donne son unique redingote. A la suite de l’insurrection, le chômage est général, Moreau se fait maître d’étude ; mais il ne peut s’accommoder longtemps de cette existence attachante, il a soif de liberté ; il veut essayer de donner des leçons, il cherche, et ne trouve que la misère.

Sans argent, sans abri, il erre ; le soir il va se coucher dans les fourrés du bois de Boulogne, ou dans les bateaux de charbon amarrés le long des quais. Ramassé souvent par les patrouilles, il se laisse emmener sans protestation à la Préfecture de police, il refuse de faire connaître son identité, pour que sa détention soit plus longue, et pour recevoir plus longtemps le pain des prisonniers.

C’est à un de ces moments de sa vie, qu’il écrit sur une borne son Ode à la Faim. Sa poésie prend une tournure nouvelle ; sa poésie qui était toute de tendresse et d’amour, devient toute de pleurs et de plaintes. La colère un instant, éclate dans ses écrits, colère bien passagère et faisant vite place à une admirable résignation. La faim, disait-il, est ma sœur, je la connais et je chante avec elle ; la misère ma compagne, je la trouve à mon coucher, je la retrouve à mon réveil.

Et puis il écrivait :

Pour que son vers clément pardonne au genre humain
Que faut-il au poète ? Un baiser et du pain.
J’ai ma part du soleil ; mais sans ordre et sans nombre,
Mes frères pèlerins marchent là-bas dans l’ombre :
Dieu protège et conduis ce peuple vagabond !
Pour tous comme pour moi, Dieu révèle-toi bon !
Que ta manne en tombant étouffe le blasphème ;
Empêche de souffrir, puisque tu veux qu’on aime !
Que ton hiver soit doux et son règne fini,
Le poète et l’oiseau chanteront : Sois béni !

Et il était toujours en proie à la plus effroyable misère. Sa santé délabrée, Hégésippe Moreau entre à l’hôpital de la Charité, mourant de faim. C’est au moment du choléra de 1833. L’infortuné poète veut en finir avec la vie, il se roule dans les lits des cholériques ; la contagion l’épargne.

A sa sortie de l’hôpital, il va à Provins où il fait un journal qui n’a aucun succès. Irrité de se voir ainsi méconnu, il fait un article d’une extrême violence contre les bourgeois de Provins, et il est obligé de quitter la ville.

Le voilà revenu à Paris à recommencer la lutte de l’existence ; lutte cette fois mortelle et qui prend fin à l’hôpital de la Charité le 10 décembre 1838.

Ce jour-là, la France perdait un grand cœur, un poète de race, et un prosateur des plus purs. Hégésippe Moreau s’éteignait terrassé, par la pthisie, résultat de vingt-huit ans d’une vie de misère.

Alexis Lauze.