À Joseph Bonaparte1,
En réponse à une brochure où il rappelait les droits de sa famille au trône de France.
Bonaparte ! où trouver dans ta biographie,
À côté de ce nom, rien qui le justifie ?
Votre aîné glorieux2 dans ses obscurs cadets,
Vit dix ans une tache au velours de son dais.
Il les brodait en vain d’or sur chaque couture :
Sous leur habit de prince on flairait la roture.
Lorsque, du sud au nord le pontife des camps
Les sacrait rois d’un jour sur les trônes vacans,
De l’orgueil fraternel leur vanité complice
Se courbait à ses pieds sous un brillant cilice.
Malheur aux potentats créés par son dédain,
S’ils l’offensaient d’un mot ou d’un geste ! Soudain
Rapp courait châtier la majesté vassale ;
Et quand ses éperons résonnaient dans la salle,
Sous son manteau de roi le coupable suait,
Tremblant comme un pacha surpris par le muet !
Mais le géant n’est plus, et les nains de sa race
Dormiraient aisément blottis dans sa cuirasse.
L’orphelin dans le nord a peu de temps langui :
Sur le chêne abattu le vent frappa le gui.
L’empire, dont la chute a fait trembler les pôles,
Pour vestige ici-bas n’a laissé que deux saules :
L’un, que brûle au midi le simoun étouffant,
L’autre, pendant au nord sur un tombeau d’enfant.
Quel ennui t’oppressait dans l’Escurial sombre !
Sur ton lit sans sommeil tu croyais voir dans l’ombre
Flamboyer le poignard ou l’œil des guérillas ;
Et puis, fermant les yeux, tu revoyais, hélas !
Ces montagnes dont l’air enivre la poitrine,
La plaine sablonneuse et la roche marine
Où, sans prévoir du sort les écueils inconnus,
Enfant insoucieux, tu bondissais pieds nus.
Aussi, quand Dieu brisa l’idole chancelante,
Vite tu secouas ta couronne brûlante.
Que dis-je ? Grâce à toi, le monde révolté
De quelques jours plus tôt data sa liberté.
Oui, l’aigle impérial, harcelé dans son aire,
Se débattait encor pour saisir un tonnerre ;
Les barbares, tremblant de profaner Paris,
S’arrêtaient sous ses murs, fascinés et surpris ;
Mais, dépouillant un rôle écrasant pour ta taille,
Par un sauve-qui-peut ! tu cédas la bataille.
Et c’est toi qui voudrais déployer pour drapeau
La redingote grise et le petit chapeau !
Non, la Gloire pour toi n’eut jamais de baptême ;
Non, tu ne fus jamais Bonaparte !… Et quand même !…
Quand même il reviendrait gigantesque, celui
Devant qui peuples, rois, empereurs, tout a fui,
O vous qui l’adorez, tribuns dont la colère
S’allume au nom du roi dans le club populaire,
C’est alors qu’il faudrait hurler le désespoir,
Sur le tableau des droits jeter un voile noir,
Et se taire ou trembler : de sa main colossale,
Qui de Saint-Cloud jadis a balayé la salle,
Il vous briserait, vous et vos tréteaux forains,
Et vous regretteriez, la bayonnette aux reins,
Ces bourreaux paternels dont le clyssoir talonne
L’émeute Pourceaugnac autour de la colonne.
Quel or méditiez-vous, quand vos creusets hardis
Fondaient quatre-vingt-treize avec mil huit cent-dix ?
À vos yeux, si Brutus vous a soufflé son âme,
La race de Tarquin est une race infâme ;
Crachez donc sur sa cendre abandonnée aux vents ;
Votez des échafauds à ses restes vivans ;
Qu’ils meurent abreuvés de lentes agonies,
Et qu’on les traîne morts aux vers des Gémonies.
C’est peu : ressuscitez contre des noms maudits
Les lois dont le blasphème était frappé jadis :
Mutilez par le fer, brûlez par les acides
La bouche qui vomit les sons liberticides ;
Car, si l’on évoquait l’ombre du soldat-roi,
La liberté féconde avorterait d’effroi.
Mais il dort sans réveil, le géant de l’empire ;
L’Anglais a bien cloué le cercueil du vampire.
Qu’on n’oppose donc plus sur d’antiques pennons
Les abeilles aux lis et des noms à des noms ;
La science héraldique est éteinte, et la France,
Deux fois veuve, confond dans son indifférence
Sa race tricolore et ses blancs souverains,
L’huile de Notre-Dame et l’ampoule de Reims…
Mais, que fais-je ? et pourquoi sur un bruit populaire
Traîner devant ma barre un homme consulaire
Qui, sans doute, ignorant le factum publié,
Oublieux des partis, s’en croyait oublié ?
Heureux colon ! semblable au pasteur de Virgile,
Tu couronnes de fleurs tes pénates d’argile ;
Dans un riche désert, que peuplent à la fois
Les révolutions et la haine des rois,
Tranquille au bord des mers, comme une écume immonde,
Tu repousses du pied le bruit de l’ancien monde ;
Et si, frappant chez toi, les partis pèlerins
Pour leur pavois désert quêtent des souverains :
« Insensés ! réponds-tu, quel espoir vous anime ?
Pourquoi dans son jardin troubler Abdalonyme ?
La couronne avant l’âge a blanchi mes cheveux ;
J’en connais trop le poids : il suffit à mes vœux
Que mon pré soit en fleurs et que mon champ jaunisse.
Peuples qui mendiez des rois, Dieu vous bénisse ! »

1. Nous avons pensé que la récente échauffourée de Strasbourg, rendait à cette pièce de vers, d’une date un peu vieille, le mérite de l’à-propos. [Retour]

1. Ce vers, comme une foule d’autres dans ce recueil, trahit chez l’auteur une étrange étourderie ou une profonde ignorance de l’histoire contemporaine. [Retour]


Version donnée dans l’édition de 1838 du poème Le Parti Bonapartiste. [TdS]


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