Hégésippe Moreau
1810 — 1838

L’imprimerie au temps d’Hégésippe Moreau

Je donne ici quelques extraits du 3e chapitre de l’ouvrage de Martyn Lyons, Le Triomphe du livre.

En 1830, l’année de la Révolution à Paris, les ouvriers brisèrent les presses mécaniques de l’Imprimerie royale, et au mois de septembre les imprimeurs et les compositeurs se réunirent pour boycotter les impressions gouvernementales. Les ouvriers impliqués étaient soutenus par des imprimeurs parisiens, tels que Fain et Baudouin, tandis que des éditeurs comme Wurtz et Ladvocat prenaient leur défense, exhortant le gouvernement à accroître davantage son aide financière pour permettre à cette industrie de surmonter la crise. Ladvocat rappelait au gouvernement l’action des ouvriers imprimeurs parisiens pendant les Trois Glorieuses, leur rôle clef dans la mobilisation des artisans parisiens contre les Ordonnances de Charles X. Les imprimeurs se sentaient menacés par les progrès de la mécanisation, les compositeurs s’opposaient à la stéréotypie (l’introduction de planches métalliques coulées qui enregistraient l’empreinte des caractères mobiles). Selon Ladvocat, seulement trois cents typographes sur deux mille étaient employés à plein temps en septembre 1830, et si la crise devait continuer, les relieurs, les fabricants de papier et les ouvriers des autres activités annexes seraient durement touchés. Il recommanda cependant le calme. Il savait que les fonds pour aider les ouvriers en grève étaient presque épuisés, et aussi que ce ne serait pas demain que les presses manuelles seraient abandonnées. La nouvelle technique avait ses limites : les presses mécanisées n’étaient, jusqu’ici, avantageuses que pour les journaux à très grande diffusion et pour des impressions à très grand tirage. Le calme finit par revenir dans les imprimeries de la capitale. Fin septembre, le Tribunal correctionnel de Paris acquitta les typographes accusés d’avoir formé une association illégale. Ces revendications ouvrières étaient pourtant les symptômes d’une industrie en mutation. Un développement rapide depuis la Révolution de 1789 avait créé des problèmes qui s’étaient ajoutés à la crise économique de 1830. L’industrie était en train de passer de l’ancien régime de l’imprimerie à une mécanisation grandissante, à de nouvelles techniques de vente et de distribution et à une pénétration de l’esprit capitaliste insufflé par un petit nombre d’entrepreneurs motivés par ce que Balzac appela « la rage de gain ».

La presse Stanhope, inventée autour de 1800, fut la première presse entièrement métallique, dont le plateau était assez vaste pour imprimer un folio complet d’un seul coup. […] Après les guerres napoléoniennes, Ambroise-Firmin Didot en acheta une à Londres, et les industriels français commencèrent à la copier. […]

[…] Ce fut l’invention par Koënig, en 1811, de la presse cylindrique actionnée par la vapeur qui constitua la véritable révolution car elle pouvait tirer jusqu’à 1 000 exemplaires à l’heure. Dans sa version de 1816, un des deux cylindres portait la surface imprimante elle-même, innovation susceptible de variations et de multiplications sans fin. La presse d’Applegarth, avec deux paires de cylindres, permettait au Times d’imprimer les deux faces du papier en même temps. Vers le fin des années 1820, on pouvait introduire du papier dans une presse d’Applegarth sous quatre angles différents, pour tirer plus de 4 000 exemplaires à l’heure […]

Ces inventions nouvelles donnèrent à l’imprimerie la possibilité de faire face aux besoins d’un public de lecteurs grandissant. Elles ne furent pas, bien sûr, introduites d’un seul coup, notamment en France. La croissance de l’industrie française n’a pas subi le brusque « décollage » que constitua la révolution industrielle britannique au cours des deux dernières décennies du xviiie siècle. Elle fut plutôt continue et graduelle. […] En fait, la France aurait connu une industrialisation continue à partir du milieu du xviiie siècle, sans passer par une véritable rupture.

L’imprimerie ne fait pas exception. La technique nouvelle pénètra lentement, même à Paris qui la monopolisa longtemps. […]

Au début, donc, la mécanisation de l’imprimerie en France fut limitée à la production des journaux à grand tirage, et seulement à Paris. Dans la capitale même, les structures de l’industrie changeaient. C’était là que se trouvaient les plus grandes entreprises mais elles étaient encore entourée de nombreuses autres beaucoup plus petites. En 1833, l’ensemble des quatre-vingt imprimeurs officiels employaient un total de 3 263 ouvriers […] [mais] la plupart des imprimeurs parisiens employaient moins de 40 ouvriers chacun et seules quatre entreprises dans la capitale en employaient plus de 100. Et ces établissements, Firmin Didot, Dupont, Everat et Mocquet, n’étaient pas les plus mécanisés.

Une imprimerie parisienne moyenne avait douze presses mais, en 1833, il n’y avait que soixante-sept presses mécaniques dans la capitale (7 % du total). Pendant les années 1830, cependant, on observe un progrès rapide de la mécanisation. En 1841, la moitié des imprimeurs parisiens possédaient soixante-dix-neuf presses mécaniques (17 % du total).

Ainsi, en 1840, environ une presse parisienne sur six fonctionnait mécaniquement mais les imprimeries n’avaient pas grandi… En moyenne il y avait encore onze à douze presses par entreprise […]