Larousse, Dictionnaire du xixe siècle

PROVINS

PROVINS en latin Provinum, ville de France (Seine-et-Marne), ch.-l. d’arrond. et de cant., sur la Voulzie et le Duretin, à 48 kilom. E. de Melun ; pop. aggl. 5,861 hab. — pop. tot. 7,277 hab. L’arrond. comprend 5 cantons, 100 communes et 53,527 hab. Tribunaux de 1re instance et de commerce, justice de paix ; collège communal. Fabrication de cuirs, grosses étoffes, briques, chaux grasse et hydraulique ; nombreux moulins sur la Voulzie et le Duretin, distilleries de betterave et de sorgho. Important commerce de grains, farines, vins et laines. Source minérale froide, carbonatée, calcaire, ferrugineuse et gazeuse. Nombreuses pépinières aux environs de la ville. Provins, situé dans un vallon agréable au pied et sur le sommet d’un coteau, se divise en haute et basse ville ; la plupart des rues de la ville basse sont larges, propres, bien percées et bien arrosées par des fontaines publiques ; la ville haute est ancienne, formée de rues escarpées, tortueuses et étroites. Ces deux parties de Provins sont ceintes de vieilles murailles flanquées de tours de distance en distance ; la portion de cette enceinte qui entoure la ville haute est la mieux conservée, tandis que de belles promenades en forme de boulevard entourent une partie de la ville basse. Les deux principaux monuments de Provins sont le château et l’église Saint-Quiriace. Ces deux édifices ont entre eux, de nos jours, un rapport étroit : le château est devenu aujourd’hui une annexe de l’église. Il se compose d’une grosse tour, vulgairement appelée tour de César, alourdie par un massif de maçonnerie que les Anglais ont maladroitement ajouté à sa base, et coiffée d’un toit pointu qui déguise sa tête martiale, jadis crénelée. Les quatre tourelles qui la flanquent dans sa partie supérieure, l’épaisseur de ses murs (4 mètres), la grandeur des deux salles intérieures, tout donne l’idée d’une de ces forteresses féodales qui servaient jadis autant d’épouvantail et de prison que de défense. Sa construction remonte au xiiie siècle. En face d’elle s’élève Saint-Quiriace. La façade en est simple et nue, mais il y a une raison à cette singularité ; elle était jadis masquée par le pourtour du cloître et les chanoines avaient cru inutile à cette époque d’orner une façade qui n’était pas destinée au public. La richesse des chapîteaux, la pureté des moulures, l’élégance des cintres brisés et des voûtes d’ogive, furent sagement réservées pour les nefs, le chœur, la galerie de l’abside et la jolie colonnade qui décore à l’intérieur le premier étage. Saint-Quiriace réunit les caractères du roman et du gothique ; cintres brisés et pleins, moulure en dents de scie, qui semble avoir remplacé la grecque autour des grands arcs et des portails latéraux, enfin chapîteaux à figures, à entrelacs, à crosses et à enroulements végétaux, tout se réunit pour fixer la date de sa construction à la dernière moitié du xiie siècle. Un dôme surmonte la coupole et a remplacé celui qui existait dès 1160 : « Sa masse imposante, dit M. Bourquelot dans son Histoire de Provins, était couronnée par une statue colossale de sainte Hélène. Une pareille construction dut exciter alors une grande admiration ; on ne connaissait en ce genre que la coupole du Panthéon à Rome et celle de Sainte-Sophie à Constantinople, les dômes de Venise et le baptistère de Pise. L’auteur du dôme de Sainte-Marie-des-Fleurs, Brunelleschi, ne naquit qu’en 1377. »

Citons encore, parmi les édifices de Provins, l’église Saint-Ayoul, ornée d’un beau portail enrichi de sculptures ; elle sert aujourd’hui de magasin à fourrages ; le palais de justice, ancien couvent des Cordeliers ; la Grange aux dîmes, momunment historique du xiiie siècle, où la ville a commencé d’installer un musée ; l’hôpital général, où l’on voit le monument du comte Thibaut IV ; enfin l’hôtel Vauluisant, construction du xiiie siècle, assez bien conservée.

Jusqu’au ixe siècle, l’histoire ne fournit sur Provins que des données indécises ; mais, à partir de Charlemagne, les renseignements deviennent plus certains. Dès cette époque, cette ville était importante, et elle possédait une forteresse, où, en 833, les fils de Louis le Débonnaire incarcérèrent leur frère Charles, dans le but de l’exclure de la succession paternelle. Charles, devenu à son tour roi et empereur, y fit battre des monnaies dont les échantillons existent encore. Tombé au pouvoir de Thibaut le Tricheur, Provins fit dès lors partie du comté de Champagne ; saint Thibaut y prit naissance ; sainte Lucence en devint patronne. En quelques années, on y compta quatre chapelles ou paroisses et de nombreux hôpitaux pour les malades et les pélerins. Provins paraît avoir eu dès le xe siècle une enceinte de murailles ; il était à cette époque le centre d’une puissante vicomté ; on le trouve désigné dans les chartes et dans les chroniques sous le titre de castrum ou oppidum, et il est certain qu’on le considérait alors comme un lieu sûr et à l’abri des coups de main. Les papes Innocent II (1131) et Eugène III (1147) s’y arrêtèrent ; enfin Abailard, fuyant la persécution, vint y donner des leçons de philosophie. Le commerce prenait en même temps à Provins une si grande importance qu’au xiiie siècle cette ville comptait jusqu’à 60,000 habitants. Cette prospérité ne fit que croître sous la domination du célèbre comte de Champagne Thibaut le Chansonnier. Le nouveau comte, à son retour de Palestine, y fonda de nombreuses abbayes, et une tradition légendaire veut qu’il ait rapporté de cette contrée lointaine la rose rouge devenue depuis l’orgueil des jardins sous le nom de rose de Provins. C’est encore à Thibaut le Chansonnier, devenu roi de Navarre en 1234, que la ville dut sa première organisation communale. En 1251, il s’y tint un concile. Les privilèges de la ville, un instant supprimés par Philippe le Hardi (1280) à la suite d’une révolte, lui furent rendus l’année suivante. Mais, à partir de cette révolte, dont fut victime le maire de Provins, Guillaume Pentecoste, la prospérité de la ville va soudainement en décroissant ; les marchands désertent ses foires et bientôt la famine frappe la population. Nous voyons cependant la bourgeoisie de Provins faire, en 1303, acte de vie politique en adhérant à la cause du roi dans sa qurelle avec le pape Boniface VIII. En 1329, Philippe le Long réorganise sa commune ; mais elle est détruite de nouveau en 1356 et les maires en sont remplacés par des procureurs. Apèrs le désastre de Poitiers et pendant la captivité du roi Jean, le dauphin Charles convoqua à Provins, le 9 avril 1358, les états de Champagne. Charles le Mauvais, non content d’incendier les environs, s’empara de la ville en 1378 et la ravagea. Un instant rendue au roi, elle fut de nouveau dévastée par un capitaine lorrain, nommé Carlot de Ducily. Jusqu’en 1433, époque où elle rentra définitivement sous le domaine royal, nous la voyons successivement au pouvoir des Bourgignons et des Anglais. En 1551, Henri II y crée un siège présidial ; en 1564, Charles IX y rétablit la mairie ; en 1590, la ville tombe au pouvoir de la Ligue ; assiégée deux ans plus tard par Henri IV, elle se rend au mois d’août 1592. C’est le dernier événement militaire de Provins. En 1651, Michel Prévost découvrit aux abords de la ville une source d’eaux minérales, très-négligée aujourd’hui. La Révolution trouva Provins aussi calme, aussi modéré qu’il l’avait déjà été au temps de la Fronde ; son député à la Convention, Christophe Opoix, refusa de voter le mort de Louis XVI. Provins, devenu en 1792 le chef lieu d’un district, n’a conservé aujourd’hui de ses nombreuses églises et de ses anciens établissements religieux que trois paroisses : Sainte-Croix, Saint-Ayoul et Saint-Quiriace ; des autres, il ne reste guère que des ruines. En 1814 et 1815, les armées alliées passèrent à Provins, qui subit l’occupation prussienne en 1870-1871.

Provins a produit plusieurs personnages célèbres, notamment : Jean Desmarets, le célèbre avocat général, victime d’une intrigue de cour en 1382 ; l’astronome Christophe Lauret ; l’académicien Pierre Lebrun, et enfin le poëte Hégésippe Moreau.