Larousse, Dictionnaire du xixe siècle

MERCŒUR (Élisa)

MERCŒUR (Élisa)femme poëte française, née à Nantes le 24 juin 1809, morte à Paris le 7 janvier 1835. Élisa Mercœur n’avait que vingt et un mois lorsque sa mère resta seule pour l’élever, avec des ressources plus que restreintes. Un seul ami de la famille leur vint en aide, et se chargea des frais d’éducation de l’enfant qui, s’il faut en croire sa mère, dans les Mémoires qu’elle a laissés sur sa fille, n’était rien moins qu’un petit prodige. A six ans, elle brodait en imagination des sujets de conte et de comédie, et, à huit ans, elle ne parlait de rien moins que de composer une tragédie en cinq actes et en vers, pour la Comédie Française. A douze ans, Élisa donnait à ses jeunes compagnes des leçons d’histoire, de géographie, d’écriture, d’anglais, de français et d’autres choses encore. Elle lisait Virgile à livre ouvert, savait un peu de grec, et elle n’avait pas encore treize ans que déjà elle avait traduit Milton en entier. La première fois qu’elle eut l’occasion de révéler son talent au public fut le jour des débuts, sur le théâtre de Nantes, d’une cantatrice célèbre. Rentrée chez elle, Élisa Mercœur écrivit tout d’un trait une pièce de quatre-vingts vers et l’envoya à son adresse. Le lendemain, toute la vie applaudissait à cet essai poétique publié par un ami officieux dans le Lycée armoricain, et, dès ce jour, la jeune fille, grâce à quelques autres poésies qu’elle s’empressa de publier, fut proclamée la Muse armoricaine. Elle avait alors seize ans. Aidée des conseils et des bons offices de quelques-uns de ses admirateurs, Élisa Mercœur fut bientôt à même de publier un premier volume de vers, sans être obligée de lutter avec tous les obstacles dont est semé d’ordinaire le long chemin qui sépare l’écrivain débutant de l’éditeur. M. Mellinet-Malassis, imprimeur à Nantes, s’offrit à publier les essais poétiques de la jeune muse, et une souscription, organisée dans les salons de la ville, fournit bientôt une somme de 3,000 francs qui couvrit, et au-delà, les frais d’impression. Le volume était dédié à Chateaubriand, à qui la jeune fille adressait une invocation dont voici la fin :

J’ai besoin, faible enfant, qu’on veille à mon berceau,
Et l’aigle peut, du moins, à l’ombre de son aile,
    Protéger le timide oiseau.

L’aigle répondit au timide oiseau qu’il ne pouvait offrir d’abri à personne. Quant à Lamartine, il écrivit au sujet de la jeune fille poëte quelques lignes dans lesquelles il la louait outre mesure et qu’il ne faudrait point prendre à la lettre. Grâce aux encouragements de tout genre qui lui venaient de toutes parts, la réputation d’Élisa Mercœur s’étendit bientôt dans toute la France. La Société académique de la Loire-Inférieure et la Société polymathique du Morbihan, s’empressèrent d’admettre la petite fille dans leur sein. Mais tous ces succès, tous ces honneurs ne suffisaient point à Élisa Mercœur qui, dès 1827, semble s’attacher dans ses vers à se plaindre du sort et à se lamenter du prétendu oubli dans lequel on la laisse. Rien n’était plus inuste que de pareilles plaintes. Dès la publication de son volume, les journaux avaient entonné ses louanges, les souscriptions avaient abondé, et de hauts personnages, entre autres la duchesse de Berry, lui avaient fait parvenir de larges offrandes. Pendant qu’elle faisait applaudir, un soir, ses vers à la préfecture de Nantes, des voleurs s’introduisirent chez elle et la dévalisèrent. Ce vol lui causa pendant quelque temps une gêne très réelle, mais de généreux admirateurs vinrent à son secours et bientôt elle reçut une gratification du ministère de l’intérieur et une pension annuelle de 300 francs, accordée sur les fonds de l’intendance de la maison du roi. Cette pension fut même portée presque immédiatement à 1,200 francs par M. de Martignac, à qui elle avait adressé une pièce intitulée : la Gloire, lorsqu’il apprit qu’Élisa Mercœur avait quitté Nantes pour venir se fixer à Paris. Dans une visite que la jeune fille fit au ministre aussitôt après son arrivée dans la capitale (1828), celui-ci fournit l’argent nécessaire à son installation et aux premiers frais indispensables. Élisa Mercœur se remit au travail et commença sa tragédie de Boabdil. Sur ces entrefaites, la révolution de 1830 vint remettre en question les moyens d’existence de la jeune fille et de sa mère qui l’avait accompagnée à Paris. Les secours qu’elle recevait de la liste civile et sa pension annuelle furent supprimés, et elle fut obligée, pour vivre, d’abandonner la lyre et d’écrire en vile prose pour différents recueils, journaux et almanachs de l’époque. Cependant, grâce à l’intervention de Casimir Delavigne, une nouvelle pension de 900 francs lui fut accordée, ce qui ne l’empêcha pas de s’exhaler en plaintes, et d’accuser le sort dans un grand nombre de pièces de vers qu’elle adressait journellement à tous les personnages en situation de lui être utile.

Tout le monde lui tendait la main, et les Mémoires qu’a laissés sa mère sont là pour attester que jamais elles n’eurent à supporter de véritable misère. Ce dont elle se plaint amèrement dans un passage de ses poésies, c’est d’être obligée de faire cet horrible métier de vendre sa prose et ses vers à des libraires à tant la feuille, et de ne pouvoir se livrer à son aise au culte désintéressé de la poésie. La plupart de ses biographes se sont faits l’écho de ces plaintes et ont signalé ce travail forcé comme la cause de la mort d’Élisa Mercœur ; c’est une erreur complète. Ce ne furent ni le travail ni la misère qui conduisirent Élisa Mercœur au tombeau. Elle-même nous l’a avoué, par la bouche de sa mère, et nous pensons que ce témoignage est irréfutable. Sa tragédie de Boabdil achevée, elle obtint presque aussitôt, et grâce à de puissants protecteurs, d’en donner lecture au comité de la Comédie Française, ce qu’elle fit le 3 mai 1831, devant Monrose, Joanny, Granville et le baron Taylor. Le lendemain, elle apprit que Boabdil était accepté par les comédiens, mais rejeté par M. Taylor, qui trouvait la pièce très-bien faite, mais ne pouvait, disait-il, espérer d’attirer le public parisien et de l’intéresser à l’histoire d’un roi de Grenade. Nous nous permettons, après lecture de la tragédie, de croire que le baron Taylor avait fait preuve de goût et de sens en agissant ainsi. Mais Élisa avait été piquée au cœur par le refus d’une œuvre sur laquelle elle avait placé toutes ses espérances de fortune et de gloire. De ce jour elle sentit qu’elle était blessée à mort ; ses forces allèrent en décroissant, sa voix s’éteignit ; elle finit par tomber tout à fait malade, languit pendant près d’un an, puis rendit le dernier soupir dans les bras de sa mère, à laquelle elle avait dit quelques jours avant : Si Dieu m’appelle à lui, on fera mille contes sur ma mort ; les uns diront que je suis morte de misère ; les autres d’amour ! Dis à ceux qui t’en parleront que le refus de M. Taylor de faire jouer ma tragédie seul a fait mourir la pauvre enfant ! Comme on le voit, le vrai nom de la maladie qui a emporté la muse bretonne, c’est l’orgueil. Élisa Mercœur avait ce qu’on appelle la vocation ; elle a prouvé à plusieurs reprises, dans quelques idylles, et surtout dans quelques élégies, que la Muse l’avait caressée de son aile en passant ; mais ne peut-on penser qu’elle s’abusait elle-même étrangement, et qu’elle mettait son désir de bruit et de renommée au-dessus de son amour de l’art, lorsqu’on la voit, à vingt ans, réclamer impérieusement du public une célébrité qu’en définitive elle n’avait pas encore méritée ? Les œuvres complètes d’Élisa Mercœur ont été publiées par sa mère sous ce titre général : œuvres complètes de Mlle Élisa Mercœur, précédées de Mémoires et notices sur la vie de l’auteur, écrits par sa mère (Paris, 1843, 3 vol. in-8o). Outre ses poésies, ces volumes contiennent : Boabdil, tragédie en cinq actes ; Louis XI et le Bénédictin, chronique du xve siècle ; les Italiennes ; les Quatre amours ; Louis XIII, et quelques autres romans ou nouvelles, et les Abencérages, tragédie.



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