Hégésippe Moreau
1810 — 1838

Arsène Houssaye

Histoire du 41me Fauteuil de l’Académie Française

septième édition
PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET CIE
Boulevard Saint-Germain, 77
1864

Chapitre XLI

Hégésippe Moreau
1810 — 1838

Armand Carrel et Hégésippe Moreau, le prosateur et le poëte de la nouvelle révolution, se présentèrent pour succéder à Benjamin Constant.

Qui pourra reconnaître dans un siècle la figure d’Armand Carrel, si on se souvient que l’Homère du christianisme et de la monarchie, M. de Chateaubriand, a entretenu d’une main pieuse les fleurs du tombeau de Saint-Mandé ; — si on se souvient de cette entrevue où les députés du peuple appelaient le rédacteur du National : Citoyen ; et où le rédacteur du National leur offrait des fauteuils dorés en leur répondant avec une grâce sévère : Messieurs ; — si on lit que M. Émile de Girardin, sur qui tomba la fatalité de sa mort, est resté, à travers les épreuves les plus orageuses, le plus intraitable amant de la liberté ?

Armand Carrel ne fut pas du quarante et unième fauteuil. On lui reprocha de venir trop tôt ou trop tard. Soldat, il lui fallait la guerre de la République ; prosateur, il lui fallait une passion plus vive et plus humaine ; homme politique, il lui fallait une révolution de plus.

Mais Hégésippe Moreau était homme à vingt ans — grand poëte inconnu même de lui — mais né pour le trésor littéraire de la France.

Et pourtant leLe 20 décembre 1838, un infirmier de la Charité dit au carabin de service « Le numéro 12 vient de mourir. » Et ce fut là toute l’oraison funèbre du numéro 12.

Le numéro 12 ! ô vanités de la poésie ! On meurt pour laisser un nom immortel, et ce jour-là on annonce qu’un homme est mort à l’hôpital sous le numéro 12 !

Or ce numéro 12 était le pseudonyme d’un nom destiné à la gloire : Hégésippe Moreau.

Il est mort de la poésie comme d’autres meurent de l’amour, comme quelques-uns du mal de la vie [[ * ]].

La poésie a ses martyrs, comme la religion. On n’est poëte qu’à la condition de souffrir. Lord Byron, avec tous ses millions, a porté sur les océans les amers désespoirs de son cœur. Hégésippe Moreau expire sur un lit d’hôpital. Qui peut dire lequel fut le plus malheureux ? Pierre Corneille raccommodait ses chausses et regardait passer Jean Racine qui s’en allait diner avec Louis XIV et madame de Maintenon. Mais Racine s’en revenait blessé à mort par un regard du roi, et Corneille se consolait de porter ses chausses déchirées avec sa bonne femme qui l’aimait ainsi équipé. Il faut en prendre son parti, et traverser bravement cette voie douloureuse bordée de tombeaux. Périsse le poëte, pourvu que le poëme vive ! Camoëns lutte contre toutes les fureurs de la mer qu’importe, si la Lusiade est sauvée du naufrage ? Pierre Corneille va mourir de faim, ou peu s’en faut, dans la rue d’Argenteuil valait-il donc mieux qu’il tint table ouverte à la place Royale et qu’il n’écrivît pas le Cid ?

Tout a manqué à Hégésippe : un père, une mère, un nom. S’il parle à sa sœur et de sa sœur, ne le croyez pas. C’est une sœur de rencontre, c’est une des Muses de poëte. La misère avait touché son berceau, comme une méchante fée : il la retrouva à son lit de mort. Comment s’armerait- on de sévérité contre sa vie en face de cette mauvaise conseillère, en face aussi de cette poésie qui n’a pas les virginales candeurs de la jeunesse, mais qui en a toutes les grâces et toutes les luxuriances ?

On rencontrait plus souvent Hégésippe au café et chez les latinescourtisanes de la rue Saint-Jacques qu’aux bords de l’Hippocrène, dans le cénacle des neuf Muses. Mais, s’il s’arrêtait un quart d’heure à Saint-Étienne du Mont, il priait [[ ** ]]. Si un mirage lui rendait ses verts printemps de Provins, il pleurait ; et ses prières et ses pleurs retombaient comme une rosée en des vers attendris que savent par cœur tous ceux qui ont vingt ans et tous ceux qui regrettent de ne les avoir plus.

Hégésippe, a été quelquefois Diogène : il n’avait pourtant pas bu le vin de son tonneau avant de s’y loger. Il le roulait de la maison de Périclès au réduit de Laïs, mais ce Diogène allait reposer son cynisme au pays de ses rêves : il mangeait le pain de la fermière, il se penchait sur le miroir enchanté de la Voulzie, et cueillait sur la rive ce myosotis qui est son âme et qui sera son souvenir :

S’il est un nom bien doux fait pour la poésie,
Oh ! dites, n’est-ce pas le nom de la Voulzie ?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes iles ? Non ;
Mais, avec un murmure aussi doux que son nom,
Un tout petit ruisseau coulant visible à peine ;
Un géant altéré le boirait d’une haleine ;
Le nain vert Obéron, jouant au bord des flots,
Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.
Mais j’aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres,
Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses murmures.
Enfant, j’ai bien souvent, à l’ombre des buissons,
Dans le langage humain traduit ces vagues sons ;
Pauvre écolier rêveur, et qu’on disait sauvage,
Quand j’émiettais mon pain à l’oiseau du rivage,
L’onde semblait me dire « Espère ! aux mauvais jours
Dieu te rendra ton pain. » Dieu me le doit toujours !
C’était mon Égérie, et l’oracle prospère
A toutes mes douleurs jetait ce mot « Espère
Espère et chante, enfant dont le berceau trembla,
Plus de frayeur : Camille et ta mère sont là.
Moi, j’aurai pour tes chants de longs échos. » – Chimère,
Le fossoyeur m’a pris et Camille et ma mère.
J’avais bien des amis ici-bas quand j’y vins,
Bluet éclos parmi les roses de Provins :
Du sommeil de la mort, du sommeil que j’envie,
Presque tous maintenant dorment, et, dans la vie,
Le chemin dont l’épine insulte à mes lambeaux,
Comme une voie antique, est bordé de tombeaux.
Dans le pays des sourds j’ai promené ma lyre
J’ai chanté sans échos, et, pris d’un noir délire,
J’ai brisé mon luth, puis, de l’ivoire sacré
J’ai jeté les débris au vent… et j’ai pleuré !
Pourtant je te pardonne, ô ma Voulzie ! et même,
Triste, j’ai tant besoin d’un confident qui m’aime,
Me parle avec douceur et me trompe, qu’avant
De clore au jour mes yeux battus d’un si long vent,
Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage,
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs,
Et causer d’avenir avec les flots menteurs.
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* « Poésie, poésie ! douce et enivrante musique ! elle vous sert de pain et d’amour ; vous la récitez à l’oiseau qui chante et qui s’arrête dans son chant commencé pour savoir votre chanson ! » Ainsi parle Jules Janin, un poëte, dont les phrases n’ont pas de rimes, mais s’entre-baisent avec une musique charmante. [[Retour]]

** Conduite à Bethléem par l’étoile des rois,
Au Gloria des cieux, Muse, mêle ta voix ;
Rallume l’àtre éteint de Marthe et de Marie,
Consulte le Voyant au puits de Samarie ;
Et, fidèle au gibet de ton Dieu méconnu,
Sous le sang rédempteur prosterne ton front nu.
Puis, malgré l’incrédule et ses bruits de risée,
Relève fiérement ta tête baptisée.
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— Notes du TdS —

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