1. Lettre de Béranger à H. Moreau. (Sans date.)

« J’ai reçu votre lettre avec beaucoup de plaisir. Vous le dirai-je ? je craignais que le découragement ne vous eût saisi. Je vois que vous avez pris le bon parti, celui du travail. Continuez, que les désagréments et les obstacles ne triomphent pas de votre constance ; un beau jour peut luire et vous serez à même d’en profiter si vous persévérez dans la route que vous venez de prendre. Vos travaux manuels ne vous absorbent pas entièrement, c’est encore un bonheur. La douce distraction des vers vous empêchera de contracter de mauvaises habitudes, plus nuisibles chez vous que les mauvais penchants. Vos trois chansons me paraissent très bien. Il y a de la pensée, de la poésie et même du métier dans tout cela : beaucoup de nos jeunes rimeurs dont la situation est heureuse et dont l’éducation a été soignée ne font pas toujours aussi bien, je vous l’assure. Il y a dans ces trois morceaux, tel couplet qui ne déparerait pas la plus belle œuvre.

« Il ne vous faut que méditer un peu plus votre idée avant de la rendre, et surtout ne jamais faire un vers avant de bien savoir où vous voulez aller. Je sais qu’on réussit en faisant d’une autre façon ; mais vous ne vous trouverez pas mal de celle que je vous indique. Voilà bien des conseils : c’est un bien faible prix de la jolie chanson que vous m’avez consacrée, elle est charmante et pleine de délicatesse ; croyez que j’en suis très reconnaissant, mais ne croyez pas qu’elle fût nécessaire171 pour ajouter à l’intérêt que je vous porte. Je voudrais seulement que vous y changeassiez un vers, celui-ci :

« Les preux vendus au meurtrier boulet,

et puis qu’au lieu de

« Tes vils bourreaux serviront de trophées

vous puissez mettre : Tes fers un jour serviront, etc…

« Pardonnez-moi ces corrections pédantesques et croyez à tous les vœux que je fais pour votre bonheur.

« Votre dévoué,

« Béranger. »

Un collectionneur, qui a donné cette lettre à la bibliothèque de Rouen, lettre que le bibliothécaire, M. Noël, a bien voulu copier pour nous, a fait suivre de cette note l’autographe usé et déchiré :

Cette lettre, si remarquable par la sagesse des conseils qu’elle renferme, a été adressée au célèbre Hégésippe Moreau, qui y attachait tant de prix qu’il l’a constamment portée sur lui jusqu’à sa mort : ce qui l’a réduite au triste état dans lequel elle se trouve.

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