La vie maudite d’Hégésippe Moreau
AVANT-PROPOS

La mémoire du poète Hégésippe Moreau a bénéficié d’une rare fortune. Cet auteur est l’un de ceux dont les œuvres, depuis un siècle, ont été le plus souvent reproduites, avec un succès sans cesse renouvelé et bien loin d’être épuisé, même aujourd’hui. Il n’est pour ainsi dire personne qui ne connaisse son nom, et la plupart de nos contemporains l’associent sans hésiter à ceux du Myosotis et de la Voulzie. On n’ignore pas non plus que cet écrivain noble et charmant mena une vie fort misérable et mourut phtisique à l’hôpital, âgé de moins de vingt-neuf ans.

Comment donc peut-il se faire qu’à notre époque, si fertile en essais historiques sur les sujets les plus infimes, aucune biographie complète d’Hégésippe Moreau n’ait vu le jour ? Nous nous sommes posé la question au moment du centenaire de sa mort, qui, d’ailleurs, passa à peu près inaperçu, car il survint à l’automne de 1938, après la mobilisation militaire, consécutive aux événements de l’Europe centrale. A vrai dire, l’existence malheureuse du poète était connue dans ses grandes lignes, par les différentes Intro-9 ductionsIntroductions aux éditions de ces œuvres ; mais ce n’étaient là que des narrations hâtives et fragmentaires, accessoires au surplus, puisqu’elles n’avaient pour dessein que d’évoquer un auteur dont les écrits primaient en intérêt la personne. Il manquait à la mémoire de Moreau le récit cohérent et suivi de sa vie privée, conçu pour faire connaître l’homme plus que l’écrivain, et n’utilisant ses poèmes ou sa prose que dans la mesure où leur analyse eût éclairé ses comportements ordinaires.

Cette lacune, nous avons voulu la combler, après avoir consciencieusement recherché, à toutes les sources, les documents capables de nourrir notre récit. Nous avons essayé d’y parvenir, d’abord grâce à l’étude des travaux antérieurement parus sur le même sujet, grâce aussi à l’exploration toujours féconde en résultats des archives publiques et privées, grâce enfin au concours d’une pléiade d’amis de la poésie et des lettres. A ce propos, qu’il nous soit permis de remercier ici mesdames et messieurs les fonctionnaires des Archives nationales ; M. Hubert, archiviste départemental de Seine-et-Marne ; M. le chanoine Le Renard, du siège épiscopal de Meaux ; M. Desanlis, conservateur de la bibliothèque-musée de Provins ; M. Beurdeley, autre Provinois à l’inépuisable complaisance ; M. Pierre Vernant, directeur du journal Le Briard, dont l’imprimerie actuelle a hébergé jadis, dans les mêmes locaux, l’apprenti typographe Moreau ; M. Rémy Dumoncel, maire d’Avon ; M. l’abbé Lequesne, curé de Fontenay-Trésigny ; l’érudit colonel Schilte ; la librairie Plon ; d’autres personnes encore qu’il nous est impossible de nommer toutes, mais qui nous ont gracieusement aidé ou guidé dans nos recherches.

Nous terminerons cette préface par un avertissement au lecteur. Dans l’abondante documentation imprimée qui a depuis longtemps précédé notre ouvrage, une place à part, la première, revient aux travaux de Vincent-Félix Vallery-Radot et de son fils René. Le premier, qui avait été l’ami de Moreau, devint pour quelque temps le critique littéraire de la Presse, où il donna une notice sur l’auteur du Myosotis. Le second publia en 1877 les articles de son père, réunis en volume sous le titre Souvenirs littéraires, et fit paraître en 1890 une édition des Œuvres complètes d’Hégésippe Moreau, précédée d’une introduction reproduisant la correspondance du poète. Ces deux auteurs, dont le premier seul avait connu le malchanceux Hégésippe, ont relaté de nombreux témoignages contemporains où la verve du bohème est prodiguée en de savoureux dialogues et dans des lettres familières. Il nous est arrivé d’utiliser ces épanchements notés sur le vif, et, quand nous nous en sommes servi, nous les avons rapportés tels quels, trouvant superflu de paraphraser des textes clairs, authentiques et irremplaçables, pour satisfaire au vain préjugé d’après lequel il messiérait de les citer littéralement.



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