BRIZEUX (Julien-Auguste-Pélage)poëte français, né en 1805 à Lorient, suivant les uns, à Soaër dans la vallée du Scorff, suivant les autres ; mort à Montpellier en 1858. Son enfance fut confiée aux soins de son oncle, bon curé du bourg d’Arzanno, dont il a consacré le souvenir dans ses vers :
Plus tard, il fut envoyé au collège de Vannes, puis enfin à celui d’Arras, où l’appela le proviseur, M. Salentin, son parent. C’est là qu’il termina ses études, et on peut retrouver les impressions de sa jeunesse dans différentes pièces de ses recueils, et principalement dans celles qui ont pour titre : les Écoliers de Vannes, et le Vieux collège. La première fait partie des Histoires poétiques, et la seconde de la Fleur d’or. (Ternaires.)
Dès l’âge de quinze ans, un amour ingénu était né dans le cœur du futur poëte, en jouant, au village, avec une petite paysanne du nom de Marie, qui a donné son nom au premier poëme de Brizeux, à ce recueil d’idylles et d’élégies pleines de grâce agreste et mélancolique, destiné à rester comme une des plus suaves productions de la poésie moderne. Mais ce qui devait surtout contribuer à développer dans Brizeux le sentiment poétique, c’était son amour, disons mieux, son adoration pour son pays natal. Il s’était tant de fois oublié dans la contemplation des sévères beautés du sol armoricain ; sa poitrine avait si souvent aspiré les senteurs des genêts de la lande ; ces tableaux rustiques de la vie bretonne, avec son respect des coutumes, sa fois humble et naïve, tous ces milles détails enfin, marqués au cachet des races primitives, avaient si bien pénétré son imagination et son cœur, qu’il avait senti passer sur lui le souffle poétique, et dès lors, il aviat résolu de consacrer ses chants à la glorification de la Bretagne :
Vers 1825 ou 1826, le poëte songea à entreprendre ce pélerinage, auquel ne peut guère se soustraire quiconque entreprend de vivre par l’intelligence ; il vint à Paris. C’était le moment des luttes de la tradition contre l’esprit nouveau. Victor Hugo, Lamartine, Sainte-Beuve, qui s’appelait en ce temps-là Joseph Delorme, Alfred de Vigny et tant d’autres, tous pleins de jeunesse et d’audace, se tenaient sur la brèche et lançaient chaque jour quelque nouvel engin de guerre dans le camp des classiques :
Quand Brizeux se présenta dans le clan de ces poëtes à longs crins, on put croire un instant à une nouvele recrue ; mais le poëte ne devait demander d’inspiration qu’à son cœur ; il ne pouvait avoir d’autre maître que la nature, et il passa dans le romantisme sans s’y arrêter. Aussi l’étonnement, quand parut son premier recueil, fut-il aussi grand que, plus tard, l’admiration fut générale, et on peut dire que le poëme de Marie, ces fleurs sauvages des landes bretonnes, ces églogues d’un tour si naturel, d’une couleur si sobre ont crée chez nous la poésie rustique. Néanmoins, comme nous avons en France la manie des classifications, on discuta longtemps pour décider à quelle école appartenait le barde breton ; les uns le donnaient aux classiques, les autres aux romantiques, qui se contentaient de l’admirer tout bas ; enfin, on finit par découvrir qu’il était de l’école monarchique et religieuse, par la seule raison sans doute qu’il était Breton ; les plus savants lui attribuèrent pour maîtres Virgile chez les anciens, et André Chénier chez les modernes ; les plus avisés ne lui en reconnurent pas d’autre que Marie et les landes bretonnes.
Après un voyage en Italie, fait en compagnie d’Auguste Barbier, le célèvre
auteur des Iambes, Brizeux publia un second
recueil, intitulé d’abord les Ternaires,
titre obscur qu’il remplaça bientôt par celui de la Fleur d’or. Mais l’Italie, avec toutes ses
magnificences, n’avait pu lui faire oublier la terre de granit recouverte
de chênes,
et à peine de retour dans son cher pays, lorsqu’il se retrouva
en face des beautés austères du paysage de sa province natale,
il oublia tout ce que ses instincts de poëte l’avaient forcé d’admirer dans le pays du soleil et du ciel bleu, et il redevint Breton, et il reprit la tâche qu’il s’était imposée : élever un monument durable à la gloire de son pays. Il composa son épopée rustique des Bretons. Nous avons omis de citer la ravissante idylle de Primel et Nola, digne sœur donnée par le poëte à Marie. Enfin, il fit paraître les Histoires poétiques, qui furent couronnées en 1856 par l’Académie française, comme dix ans auparavant en 1846, l’avaient été les Bretons. Cette revue rapide des travaux poétiques de Brizeux serait insuffisante, si nous ne citions ses derniers vers, son Élégie de la Bretagne, son dernier cri d’amour vers son pays bien-aimé :
Enfin, quand nous aurons mentionné une traduction estimée, bien qu’en prose, de la Divine Comédie, et un recueil de chants en dialecte breton, intitulé Telem arvor (Harpe d’Armorique), nous en aurons fini avec l’œuvre de Brizeux.
La plupart des critiques sont aujourd’hui d’accord sur le mérite du
poëte et sa valeur morale : Les vers de Brizeux, a écrit G. Planche,
révèlent avant tout une nature sincère. Il ne parle pas pour le plaisir de
parler ; il se tait quand il n’a rien à dire. Il laisse à
d’autres le soin puéril d’enchâsser dans des strophes étincelantes des
simulacres de pensées ; il se contente de raconter simplement ce qu’il
a senti. Dans le domaine de la poésie, il n’a jamais confondu le but et les
moyens. Il ne décrit pas pour décrire ; il décrit pour donner à ses
personnages plus de vie et de relief. Il se préoccupe du paysage, mais dans une
juste mesure, et n’oublie jamais l’homme pour le cadre où il a résolu de
le placer…
Jamais poëte, en effet, ne s’est plus éloigné que
Brizeux de cette ridicule théorie de l’art pour l’art, qui compte encore
aujourd’hui tant d’adeptes, et qui, depuis plus de trente ans, obstrue
chez nous la voie du progrès. Le poëte breton avait un amour trop profond de
l’art pour ne pas lui assigner un but, et il était de l’avis que le beau
est inséparable de l’utile : Nisi utile est quod facimus, stulta
est gloria. Aussi se préoccupait-il des moindres détails ; il revoyait
son style, ce vernis pour brillant qu’on met sur les tableaux pour les
faire durer,
a dit Joubert, il le revoyait avec un soin jaloux. Tous les
poëmes de Brizeux, dit M. Théophile Gautier, sont faits avec soin, une pureté,
une délicatesse extrêmes. On sent que l’auteur, dans ses longs loisirs
laborieux, pesait chaque vers, chaque mot, chaque syllabe dans ses balances
d’or, s’inquiétait d’une assonance, d’une allitération,
d’une nuance ténue de la pensée, toutes choses dont se soucie peu le
vulgaire.
M. L. Ratisbonne nous paraît avoir résumé d’une façon
très-juste la nature du talent de Brizeux : C’est le poëte du foyer,
dit-il ; il n’a pas un grand souffle, mais son souffle est
pur. D’ailleurs, la flûte sur laquelle il soupire est à lui comme à Musset son
« verre ». Il y a une originalité véritable dans sa poésie
sobre et discrète, idéale et point nuageuse, belle avec simplicité, tendre sans
mollesse et sans énervante langueur, et qui répand un parfum doux de genêts et de
bruyères, de ces bruyères de la lande bretonne au milieu desquelles elle est
née. Les vrais poëtes, ceux qui ont le je ne sais quoi qu’on ne peut dire et
que l’on sent seulement, quod sentio tantum, ces poëtes à empreintes
personnelles sont rares. A ce titre, Brizeux méritait plus d’honneur
qu’on ne lui en a fait, et sa réputation n’égalait pas, à beaucoup près,
son talent.
Brizeux était né pauvre, et il est mort pauvre : le métier de poëte n’enrichit guère, et, par malheur, comme dit Ronsard :
Le poëte n’avait d’autres ressources qu’une modique pension qu’il recevait du ministère de l’instruction publique, et qui, d’ailleurs, suffisait à ses besoins. Sa seule ambition, pendant toute sa vie, fut d’être appelé à l’Académie, et les suffrages qu’il en avait obtenus deux fois semblaient lui permettre d’espérer la réalisation de son rêve. La mort s’est trop hâtée de le prendre ; mais, du moins, son dernier vœu, exprimé dans les vers suivants, aura été exaucé :
Le gouvernement a fait transporter à ses frais le corps du poëte sur les bords de l’Ellé, où il repose dans un tombeau élevé par les soins de ses amis et de ses admirateurs.
Nous n’avons voulu jusqu’ici que faire l’éloge du talent de Brizeux, ayant quelque répugnance à faire remarquer de légères taches sur cette figure si pure et si exempte de vaniteuse prétention ; mais nous ne pouvons, consciencieux critique, laisser croire que Brizeux fut un poëte du premier ordre. Brizeux est un poëte ému, il n’est pas inspité. Brizeux n’a pas le grand souffle ; concentré parfois jusqu’à l’étouffement, il n’a pas la libre allure d’une poésie abondante et facile ; beaucoup de vers apres sont péniblement attelés, deux à deux au joug de la rime, et sa muse traîne à ses pieds nus un peu de gravier, comme une poussière du granit breton ; mais tous ces défauts se cachent sous un bel air de distinction native et de grâce originale. Souvent aussi son talent de description l’entraîne trop loin ; son amour du détail poétique le fait sortir de cette juste mesure qui est le premier caractère du goût. Quelquefois encore sa simplicité si précieuse dégénère en naïveté, nous dirions en prosaïsme, si nous ne soupçonnions quelque grosse injustice dans ce mot appliqué à un écrivain aussi exclusivement poëte que Brizeux. La citation suivante, par laquelle nous allons terminer cette notice, nous paraît résumer assez bien les qualités et les défauts de l’écrivain qui en est l’objet. Le poëte et Marie sont assis côte à côte au pont de Kerlo, laissant, comme il dit,
Il s’écrie :
Elle n’a que sa vie ; oh ! pourquoi la tuer ?
Autour d’Hégésippe Moreau;