On a parlé, à diverses reprises, des espaces conservées depuis un demi-siècle à l’imprimerie de M. Lebeau, de Provins, et sur lesquelles l’apprenti compositeur aurait crayonné à la mine de plomb des vers devenus à peu près illisibles.
C’est un souvenir à mentionner simplement pour mémoire.
Quant aux autographes proprement103 dits de l’auteur du Diogène, les collectionneurs les attendent sans trop d’espoir : ils sont d’une extrème rareté, et cette rareté s’explique aisément.
Paresseux à prendre la plume, Moreau rimait à ses heures, selon la fantaisie de la muse, et se fiait à sa mémoire heureuse ; bon nombre des poésies imprimées qu’on a de lui ont été recueillies au passage par les amis auxquels il les récitait. Il a d’ailleurs peu vécu, peu produit. D’autre part, le goût des autographes n’était pas, de son temps, en honneur comme aujourd’hui ; comment aussi les amateurs eussent-ils songé à conserver des feuillets où s’alignaient les vers du poète malheureux et sans nom, qui allait s’éteindre à vingt-huit ans, ignoré de ses contemporains !
J’ai dit, en passant, que les concours104 de poésie à l’Académie française l’avaient tenté. Il prit part à l’un d’eux. C’était en 18291829, — à dix-neuf ans ; le sujet proposé était la Découverte de l’imprimerie, et M. Ernest Legouvé remporta le prix. Le poème de Moreau, partageant le sort de beaucoup d’autres, — car il n’y avait pas moins de 44 concurrents, — n’obtint pas même l’honneur d’être cité dans le rapport du Secrétaire perpétuel ; mais il ne serait pas surprenant que ce manuscrit existât encore, oublié dans les Archives de l’Institut.
Madame Guérard et Madame Jeunet sont les personnes auxquelles le poète a écrit le plus souvent, et à peu près les seules avec lesquelles il resta en relations épistolaires ; encore sa correspondance fut-elle toujours assez irrégulière. S’il existe de lettres de lui dans ces 105familles, elles doivent y être précieusement conservées ; les amateurs d’autographes n’ont donc rien à espérer de ce côté.
M. Jules Michelin (de Provins) possède deux lettres d’Hégésippe Moreau et quelques fragments manuscrits du Diogène ; M. Alfred Bovet a deux romances autographes ; M; René Vallery-Radot a une lettre autographe adressée à son père en 183318331 ; un ou deux autres amateurs seulement en ont autant, et c’est à peu près tout.106
Lebailly, pourtant, avait eu la bonne fortune de rencontrer quelques-uns de107 ces autographes si difficiles à découvrir, — entre autres l’Ode à la Faim, signalée par Sainte-Marie Marcotte ; du moins l’écrivait-il un jour à M. Fourtier. Mais que sont devenus à sa mort les manuscrits qu’il avait recueillis ? Car Lebailly est mort — lui aussi — il y a près de vingt ans, sur un lit d’hôpital.
Morts également Sainte-Marie Marcotte, le docteur Michelin, Alphonse Fourtier, eux tous qui, après avoir aimé et aidé Moreau, s’étaient mis à la recherche des rares fragments de ses manuscrits que le temps avait pu épargner.
L’abbé Grabut, directeur du collège de Provins au moment où paraissait le Diogène, dont il fut un des premiers souscripteurs, possédait deux pièces de vers originales de Moreau, datant de son enfance ; il en a donné des copies à108 Lebailly en 18631863. Trois ans plus tard, l’abbé Grabut est décédé curé-doyen de Nemours. Où sont allés ces autographes ?
Enfin, on recherche aussi — et l’on recherchera sans doute longtemps encore — un manuscrit remontant au bon temps où le jeune Provinois adoptif étudiait au séminaire d’Avon, dirigé par l’abbé Herblot ; il ne s’agit de rien moins qu’un poème héroï-comique, la Déculottade, dont quelques prêtres du diocèse de Meau ont gardé un gai souvenir.
En attendant qu’un heureux hasard amène la découverte de ce poème perdu ou de quelque correspondance oubliée peut-être au fond d’un carton, au milieu de papiers inutiles, — comme il arrive quelquefois, — on est réduit à constater que trois pièces autographes seulement d’Hégésippe Moreau on passé jusqu’ici109 en vente publique. Le Dernier Jour, poèsie, 2 pages in-fº, se trouvait dans une vente faite le 1852-05-2525 mai 1852 par M. Laverdet ; sa poésie l’Apparition, datée de 1833-07juillet 1833Cette pièce est reproduite dans le Myosotis avec la date du 1833-08-033 août 1833., 2 pages in-4º, a été vendue avec la collection du docteur Coralli, à l’hôtel de la rue des Bons-Enfants, le 1866-11-2828 novembre 1866 ; enfin, l’épître à M. Lebrun, — autographe et signée, — de 4 pages in-4º, a figuré le 1881-02-1919 février 1881 dans la vente de la collection de M. le baron de Marescot et a été acquise par M. Léonce Claverie.
L’écriture du poète, ordinairement facile et régulière (il avait remporté un prix d’écriture à dix ans !), présente cependant des variations : soignée, fine et assez élégante dans ses lettres, moins110 régulière dans ses poésies, elle devient lourde et est formée de gros caractères inégaux sur les fragments manuscrits qu’on connaît du Diogène.
Les deux romances autographes d’Hégésippe Moreau qui se trouvent dans le riche cabinet d’autographes de M. Alfred Bovet sont, l’une et l’autre, signées de ses initiales. La première, l’Oiseau que j’attends, a été imprimée dans le Myosotis avec un couplet de plus et de légère variantes ; mais la seconde, la Nuit de la Toussaint, ne figure dans aucune des éditions que nous connaissons. Grâce à l’obligeance de M. Alfred Bovet, nous pouvons terminer notre opuscule par la publication de cette pièce inédite d’Hégésippe Moreau.111