Béranger
La Liberté chez nous se réfugie ;
Joyeux buveurs, à table et loin du jour,
Que Béranger, pour terminer l’orgie,
De ses refrains nous enivre à son tour.
Chargé de gloire et d’injures nouvelles,
Des bras d’un peuple il tombe dans les fers ;
Il est captif, mais sa muse a des ailes :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
Quand tour à tour au pied de nos trophées,
Les rois tombaient, implorant leur pardon,
De son berceau, que balançaient les fées1,
Il s’élança, réveillé par un nom…
Ce nom sacré, qu’il n’a pu désapprendre,
Est maintenant proscrit dans l’univers ;
Béranger seul ose le faire entendre :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
Frondant l’abus de la victoire même,
Au roi des rois il n’a sacrifié
Que sur sa tombe, et quand du diadème
Par le malheur il fut purifié.
Le vieux soldat, dont il sèche les larmes,
Brûlant encor de souvenirs bien chers,
Semble écouter si l’on appelle aux armes :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
Qu’ai-je osé dire ? Ah ! je sens que ma muse,
Rebelle aussi, déraisonne en buvant :
Comme le vin, qui sera mon excuse,
La poésie enivre bien souvent ;
Mais aujourd’hui, quand Thémis au poëte
Fait expier des sarcasmes amers,
Pour les venger, la France les répète :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
On l’a frappé dans sa noble misère ;
Il faut de l’or, et je n’ai que des pleurs :
Jeune soldat, quêtant pour Bélisaire,
Ma voix du moins attendrira les cœurs.
Qui ne voudrait, bravant la tyrannie,
Payer sa gloire au prix de ses revers ?
Enflammons-nous aux rayons du génie :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
1828

(1)
Dans ce Paris plein d’or et de misère,
En l’an du Christ mi-sept-cent-quatre-vingt,
Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père,
Moi nouveau-né, sachez ce qui m’advint.
Rien ne prédit la gloire d’un Orphée
A mon berceau qui n’était pas de fleurs ;
Mais mon grand-père, accourant à mes pleurs,
Me trouve un jour dans les bras d’une fée…
(Béranger)
[Note de l’édition de 1838] [Retour]



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