La muse
Nymphe, qui guettes au passage
L’écolier du pays latin,
Assez laide pour être sage,
Quel mauvais sort te fit catin ?
Hélas, répond, un peu confuse,
La courtisane au bas crotté,
Vous voyez une pauvre Muse ;
Soyez heureux par charité !
Ne riez pas, oui, de la Loire
J’égalais presque la Sapho ;
J’étais gentille, et l’auditoire,
Lorgnette en main, criait bravo.
D’un gros garçon et d’un poëme
J’enrichis la postérité.
Entre nous, le père est le même ;
Soyez heureux par charité !
À Paris, un journaliste ivre
Prôna mes vers qu’il ne lut pas,
Ce monsieur, pour juger mon livre,
Avait feuilleté mes appas.
Quand, d’une main, le bon apôtre
Brochait l’article à mon côté,
Dieu sait ce qu’il faisait de l’autre !…
Soyez heureux par charité !
Dans les salons je fus admise,
Mes conquêtes ont fait du bruit :
J’ai vu Lamartine en chemise
Et Byron en bonnet de nuit.
Sur mon sein traçant une épître,
En le baisant ils l’ont chanté.
Je mets en vente leur pupitre.
Soyez heureux par charité !
Mais survint une maladie,
Adieu la gloire, adieu l’amour !
Il fallut tomber, enlaidie,
De lord Byron à lord Seymour.
Je n’ai d’autre espoir que l’hospice,
Seul un roman frais édité.
Pauvre Muse ! Dieu te bénisse !
Soyez heureux par charité !


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