Le baptême
Je méditais une ode, ou pis peut-être,
Quand tout à coup grand bruit dans le quartier ;
« À l’entre-sol un garçon vient de naître ;
» Notre portière accouche d’un portier !… »
Ornant de fleurs ses langes un peu sales,
Je l’ai vu beau, beau comme un fils de roi,
Pleurer au bruit des cloches baptismales :
Dors, mon enfant, rien n’a sonné pour toi.
À ton baptême un curé bon apôtre,
Quelques voisins, quelques brocs de vin vieux,
Cela suffit : te voilà comme un autre
Cohéritier du royaume des cieux.
Convive ailleurs d’un plus friand baptême,
Si quelque saint, gras martyr de la foi,
Bénit tout haut, puis murmure : Anathème !
Dors, mon enfant, dors, ce n’est pas sur toi.
Tu n’as point vu la robe et la finance
Crier bravo lorsque tu vagissais ;
Tu n’as point eu, comme un enfant de France,
À digérer maint discours peu français.
Pour premiers bruits, le monde à ton oreille
N’a point jeté des paroles sans foi.
Près d’un bercau si la trahison veille,
Dors, mon enfant, dors, ce n’est pas chez toi.
Dors, fils du pauvre : on dit qu’il est une heure
Lente à passer sur les fronts criminels ;
Le fils du riche alors s’éveille et pleure
Au bruit que font les remords paternels.
Lorsque minuit descend plaintif des dômes,
En secouant leur linceul et l’effroi,
On dit qu’au Louvre il revient des fantômes :
Dors, mon enfant, Dieu seul entre chez toi.
À l’hôpital, sur le champ de bataille,
Chair à scalpel, chair à canon, partout
Tu souffriras, et lorsque sur la paille
Tu dormiras, la Faim crîra : Debout !
Tu seras peuple, enfin ; mais bon courage !
Souffrir, gémir, c’est la commune loi.
Sur un palais, j’entends gronder l’orage :
Dors, mon enfant, il glissera sur toi.


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