Les contes
Orphelin, sous un ciel avare,
Radcliffe m’a donné son lait ;
Puis de la reine de Navarre,
Je devins amant et varlet.
Schérazade est ma favorite,
Et la nuit, rimeur ennuyé,
Sur ma petite
Couche d’ermite,
Quand je m’agite,
Si par pitié
La sultane entrait chez moi, vite
Elle en obtiendrait la moitié.
Je préfère un conte en novembre
Aux doux murmures du printemps.
Bons amis, qui peuplez ma chambre,
Parlez donc, j’écoute et j’attends :
Tombant des tréteaux de la foire,
Ou glissant du sopha des cours,
Que votre histoire
Soit blanche ou noire.
Chante la gloire
Ou les amours,
Vieil enfant, je promets d’y croire :
Contez, amis, contez toujours.
En tremblant, voilà qu’un beau page
À sa dame écrit ses douleurs ;
Il écrit, et sur chaque page
Répand moins de vers que de pleurs.
Pauvre Arthur ! son teint frais se plombe ;
Mais en roucoulant sous les tours,
Tendre colombe,
Quand il succombe,
Un baiser tombe
Sur ses yeux lourds ;
Ce baiser l’enlève à la tombe…
— Contez, amis, contez toujours.
Pélerin, dans l’hôtellerie,
Vois : de sang les draps sont tachés ;
Aux trous de la tapisserie
Vois les yeux des brigands cachés.
Hélas ! suffoqué par la crainte,
Contre eux il sanglote : Au secours !
Mais minuit tinte ! …
De leur atteinte,
O vierge sainte,
Sauvez ses jours !
— Rallumons notre lampre éteinte,
Mes amis, et contez toujours.
Qui babille en cet oratoire ?
Ce sont les nymphes d’un couvent,
Long chapelet aux grains d’ivoire
Que dévide un moine fervent ;
Le jour en chaire il moralise ;
Mais, sans bruit, au déclin des jours,
Hors de l’église,
Il catéchise
Quelque Héloïse
En jupons courts…
— Un instant, que j’embrasse Élise,
Mes amis, et contez toujours.
Ou bien, histoires plus charmantes,
Épanchons nos cœurs, et parlons
De nos sœurs et de nos amantes ;
Parlons de cheveux noirs ou blonds.
Doux secrets que le monde ignore,
Allez, partez : les murs sont sourds.
En vain l’aurore,
Qui vient d’éclore,
Brille et veut clore
Nos longs discours :
Jusqu’à la nuit contons encore,
Jusqu’à demains contons toujours.


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